Gilles, 34 ans, pratique le bouddhisme en plein cœur de la forêt amazonienne. Professeur des écoles à Grandsanti (3500 habitants), il a longtemps dû faire 10 heures de pirogue sur le fleuve Maroni pour rejoindre ce petit village isolé du reste du monde. « Mais on commence quand même à avoir internet » précise-t-il, « et maintenant on peut aller en avion de Cayenne, la préfecture de la Guyane, jusqu’à Grandsanti. »
Comment as-tu découvert le CMK tout en habitant dans la forêt amazonienne ?
En fait, j’ai découvert le bouddhisme à la bibliothèque municipale de Laval à 16 ans avec le dhammapada, des citations de Bouddha. Ça a fait tilt tout de suite. Je suis allé ensuite en Inde plusieurs fois où j’ai découvert le yoga et l’hindouisme. J’avais l’impression de connaître et de comprendre beaucoup de philosophies orientales. J’essayais de faire des liens entre les différentes traditions spirituelles orientales. Je n’avais pas envie de suivre un chemin tout tracé, j’essayais par moi-même de trouver ce qui me paraissait le plus vrai. J’avais entre 18 et 23 ans. Mais je ne comprenais pas qu’il fallait de la pratique. Ce n’était que dans la tête, c’était intellectuel. Au fond de moi, j’étais persuadé qu’il y avait quelque chose de spirituel qui existait mais il y avait un fossé entre mes belles idées et ce que je faisais au quotidien. Il n’y avait pas de lien entre mes lectures et ma vie. Ma spiritualité était très liée à l’Asie. C’était en Asie que je me retrouvais. En France, javais du mal à trouver de l’énergie pour pratiquer. Je ne savais pas où aller pour rencontrer des gens avec qui échanger. A 23 ans, je suis parti en Guyane où j’avais encore plus de mal à pratiquer au quotidien malgré de nouveaux séjours en Inde. Ce n’est qu’en 2011, à 29 ans, que j’ai découvert le CMK qui n’est pas très loin de la Mayenne où habitent mes parents que je vais voir l’été quand je reviens en métropole.
Quelles ont été tes premières impressions ?
La première retraite que j’ai suivie au CMK était guidée par Eupamé en août 2011. Ça m’a touché au cœur. J’ai eu très vite la sensation d’avoir trouvé ce que je cherchais, ce qu’il me fallait. En plus, je venais d’avoir un enfant. J’ai eu un déclic. Je me suis dit qu’il fallait vraiment que je m’y mette et que mon comportement soit un bon modèle pour mon enfant. J’ai pris une ferme résolution. C’est grâce à cette volonté que j’arrivais à méditer tous les jours même si parfois j’aurais préféré regarder un film et que mes méditations étaient loin d’être toujours au top. Mais je le faisais quand même et petit à petit j’ai appris à méditer. En 2012, nouvelle retraite l’été au CMK : je repars de là plein de foi et d’énergie, sur mon petit nuage. Comme en 2011, je surfe sur cette belle vague jusqu’en décembre et ça se délite ensuite. Pendant deux ans, je n’arrivais pas à me connecter avec les prières, ça ne me parlait pas. C’est en 2013 que le déclic a eu lieu.Le support des CD de méditations m’a également beaucoup aidé. Pour des gens isolés comme moi, les supports audio aident vraiment beaucoup.
Tu as été à deux festivals internationaux en Angleterre, ça a dû sacrément te changer par rapport à la vie dans ton petit village en Guyane ?
C’est sûr que j’ai eu froid, mon corps est habitué aux fortes chaleurs depuis onze ans. Mais j’avais énormément d’énergie. Je me sens bien là-bas malgré les conditions extérieures. Je trouve que c’est vraiment intense, au niveau des pratiques, des rencontres et que j’arrive beaucoup mieux qu’ailleurs à me concentrer tout en ressentant très peu la fatigue. A chaque fois, j’ai senti un énorme coup de boost dans ma pratique.
Comment te sers-tu des enseignements bouddhistes dans ta vie quotidienne ?
A mon travail, c’est tout simplement indispensable. Par rapport à ce que je faisais avant, je ne suis plus du tout le même professionnel parce que j’essaye de mieux comprendre les enfants, leur situation, de me mettre plus à leur place, ce qui n’est pas forcément évident car le contexte socio-culturel en Guyane est très différent. C’est difficile d’imaginer que parfois la majorité de la classe a travaillé aux champs tout le week-end ou qu’un enfant a été réveillé à 6 heures du matin pour passer le balai… Du coup, tu n’en veux plus aux enfants mais aux parents. Donc la pratique c’est aussi de se mettre à la place des parents et de l’acculturation qu’ils ont connue. Il n’y a pas si longtemps, ils n’avaient même pas de moteur sur leur pirogue pour se déplacer. Moi en tant que représentant de la France, ce serait facile de dire « je sais ce qui est bon pour vous, et je vais vous dire ce qu’il faut faire » ou alors de les secouer, ce que je faisais auparavant. Prendre en compte leur point de vue permet d’avoir un échange constructif. Avec les méthodes que j’emploie maintenant ça fonctionne mieux pour eux, ils viennent me voir plus facilement, ça fonctionne également mieux pour les enfants, ils s’aperçoivent que je suis vraiment là pour eux. Même s’il y a toujours des journées qui se passent moins bien, durant lesquelles je suis moins en forme ou que les enfants sont fatigués, j’essaie de faire mon travail en mettant la bienveillance au cœur de ma journée. Quand je vois que je vais m’énerver, que la dose a été dépassée, je m’assois, je respire, je fais une petite pratique rapide, par exemple récitation de mantra et ça m’aide à repartir.